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Billebaude

La Nature est l'objet de toutes les convoitises. Certains vont aux champignons comme on va à la chasse. Les parents y mettent leurs enfants à construire une cabane. Les gens de la ville y vont en famille pour détendre une semaine de travail ou d'école. Les chiens y promènent leurs maîtres tout comme le fou promène sa brosse à dent en faisant croire que c'est son chien ! Et le photographe, qui n'a pas toujours de projet bien précis, s'en va dans le bois au gré des bêtes qu'il pousse devant lui, mi-promeneur, mi-chasseur, en quête de la meilleure photo de sa carrière.... Pour moi, la billebaude n'est pas la confusion et le désordre; sens qu'on lui attribue habituellement : c'est l'approche des bêtes qui fait du photographe le chasseur solitaire qui sommeille en lui. La promenade silencieuse s'agrémente de l'affût quand le moment se présente. Le photographe se pose alors dans un endroit choisi et installe son matériel, le tout trompant la vigilance des bêtes. Le principal de la promenade est l'approche silencieuse pour tromper les sens de l'animal. Les photographies ainsi obtenues le sont au moment où l'animal surpris prend la pose si caractéristique qui précède la fuite. La chasse photographique à la billebaude fait le portrait des bêtes.

Les raies de lumière traversent la futaie et donnent le contre-point sur les araignées immobiles au milieu de leur toile qu'elles ont tendue avec des fils barrant le chemin et prenant appui, l'un vers le sol, l'autre vers le haut... Longs de plusieurs mètres quelquefois ... Et l'on s'intrigue d'une telle aptitude à réaliser des ouvrages d'une ingéniosité qui bat en brèche la prétention qu'ont les hommes  de se croire supérieurs en tout !

Le  rouge-gorge fait vibrer l'air immobile de sa mélodie. Pas de gros plan cette fois, mais une harmonieuse compostion de branches sur fond de ciel bleu. Il fallait figer le bec ouvert pour rendre l'action  du chant.

Un serin cini se détache sur le ciel gris-bleu. Il faudra le zoom numérique pour identifier l'oiseau avec certitude. Ils sont deux, à peine visibles dans le jeune hêtre dont les feuilles trahissent l'automne bien avancé.  A cette distance, le seul intérêt est de reconnaître l'espèce pour se prouver nos talents d'ornithologue.

La merlette se gavent des baies du cotonaester. Quelque peu farouche pour m'obliger à dissimuler mes intentions de la photographier, elle alerte en pépiant doucement, puis part et revient se faire immortaliser.

Les fruits du houx annoncent Noël.

Il y a des instants de repos dans la billebaude. Alors on s'assoit, par terre ou sur un siège portable et on se met à attendre et à rêvasser... On observe enfin l'intimité des animaux sans forcément faire une photo. Mais souvent, un évènement inattendu se produit, donnant une photographie dissonnante. Ici, une vache qui passe derrière l'arbre tétard et qu'on voit à travers le trou dans le tronc noueux. Là, un arbre qui ressemble à un éléphant... Non loin, les blaireaux ont creusé une galerie de terriers, juste à la lisière de la forêt, dans une zone calme et à l'écart de la fréquentation des hommes. Veaux et vaches sont au pré broutant en marchant ou couchés en ruminant. Plus loin, une buse blanche s'est posée sur l'aubépine jouxtant la clôture survolée par quelques corneilles ombrageuses. Les ramiers passent au-dessus, d'un vol puissant et rectiligne... Des grives se sont posées dans le pré nourriciers comme le font les mauvis, les litornes ou les draines... Et puis, une fois gavé de cet instant de sérénité, on se dit qu'il est temps de rentrer .

La billebaude s'agrémente également de l'affût qui ponctue son déroulement d'un point d'orgue. C'est souvent en fin de journée quand la nuit se prépare qu'on se place près d'une zone ouverte, sur la bordure d'un champs ou à la lisière du bois. Un filet de camouflage paufine l'affût et l'appareil photo est fixé sur un trépied ou un monopode. L'attente est souvent assez courte car on sait d'instinct se placer où il faut. Dans le crépuscule une buse plane et se maintient en vol avec quelques battements d'ailes.  Les premiers à sortir sont les chevreuils, les chevrettes et les jeunes d'abord. Les couples ensuite et les vieux brocards plus tard, un peu avant les cerfs. Les biches sortent à la nuit tombée quand il fait déjà très sombre. Elles viennent au gagnage et paissent l'herbe ayant poussée avant les labours ou bien les grains de céréales restant au sol entre les sicos après la moisson. Ce soir c'est une biche et son hère que je surprends juste au moment où je quitte l'affût. Les animaux ne m'ont pas vu dans la nuit tombée. Il y a juste assez de lumière pour faire une photo avec l'appareil fixé sur le monopode avec une sensibilité à 12800 ISO. Il faudra retravailler le bruit numérique, la netteté et l'équilibre des couleurs dans le logiciel de traitement d'image. Le retour se fait de nuit et si l'on a oublié la torche, il faut deviner le chemin. C'est alors que les grands animaux, prêts à commencer leur pérégrination nocturne, s'enfuient dans le noir en faisant bruisser les feuilles et les branches dans l'opaque de la forêt. Un râle rauque et sonore retentit quelquefois annonçant un cerf ou une biche qui dénonce la présence de l'intrus. Quand au chevreuil, lui, il aboie en s'éloignant. Cela surprend bien des fois et fait sursauter. Les nuits de brame, il faut prendre bien garde de ne pas se faire charger par un Dix-cors rempli de foutre et qui n'hésitera pas à vous embrocher dans ses bois, vous prenant, et même peut-être pas, pour un rival. Le retour à la voiture se fait d'un bon pas dés que le chemin est atteint. La nuit envahit la forêt quelquefois éclairée par la lune. On est seul, loin du dérangement des gens. La forêt nous appartient. L'esprit s'égare dans des réflexions philosophiques qui nous relient à l'universalité des choses. On est dans la Nature et on est la Nature... Infime création nous sommes et cependant ...

Ce matin mille oiseaux volétent dans la futaie majestueuse, l'air est immobile, le temps est frais et le soleil innonde de sa lumière la brume qui adoucit tout cet environnement magique qui porte à la méditation plus qu'à la photographie. C'est la symphonie sylvestre.

Non loin de St Germer de Fly

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